Guillaume Lemoine, référent biodiversité et ingénierie écologique à l’EPF Nord-Pas de Calais, est l’un des spécialistes en France de la renaturation des fonciers dégradés. Il livre son expérience à tous ceux qui souhaitent se lancer dans l’aventure.

Comment expliquer que l’EPF Nord-Pas de Calais soit devenu un expert en renaturation des friches ?

L’EPF a été créé en 1990 pour tenter de résorber les 10 000 ha de friches industrielles du Nord-Pas-de-Calais -la moitié du stock français- identifiés à l’époque par la DATAR. Il faut dire que notre région a dû faire face à une forte désindustrialisation, de la fermeture des puits de mines de charbon aux crises sidérurgiques et textiles. 

Beaucoup de ces friches n’intéressaient pas les porteurs de projet du fait de leur éloignement des infrastructures et des centres urbains, des cycles bas du marché immobilier….Il nous a fallu être inventif, rechercher d’autres usages à ces friches pour redonner une image positive à ces territoires. La renaturation, notamment la réalisation de boisements, est apparue rapidement comme une solution très intéressante, qu’elle soit temporaire ou définitive.

La fermeture des Charbonnages de France a constitué notre premier socle d’expérimentation. L’EPF s’est vu confier, lors de la vente par l’Etat d’une des filiales d’exploitation des Charbonnages de France (terrils SA) en 2002, plus d’une centaine de terrils (ayant pour certains plus de 140 ha d’emprise au sol et d’autres 175 mètres de haut). Nous avons ainsi transformé plus de 2000 ha de foncier minier en zones humides, pelouses sèches, roselières et forêts... pour constituer la trame verte du bassin minier. L’EPF est d’ailleurs devenu, avec plus de 600 ha de forêts implantées sur friches, terrils et carrières, le 1er reboiseur de l’ancienne région Nord-Pas-de-Calais qui était, rappelons-le, la région la moins boisée de France. 

Comme vous le voyez, la renaturation est dans les gènes de l’EPF.

Les collectivités soutiennent-elles votre action environnementale ?

Le Conseil régional de l’ancienne région Nord-Pas de Calais a joué un rôle déterminant dans les choix qui ont été faits. Très sensible aux enjeux de préservation de la biodiversité dans un territoire très meurtri, le Conseil régional a souhaité que les terrils miniers, pour lequel il s’était battu pour empêcher sa vente à des acteurs privés, soient utilisés pour rembourser la dette écologique du territoire. Cette doctrine s’est ensuite étendue aux friches en déshérence, en fonction du choix des collectivités. Les espaces miniers renaturés ont été cédés aux Départements, au titre de leur politique d’espaces naturels sensibles, aux intercommunalités et communes, au Conservatoire d’espaces naturels...et au ministère de l’Agriculture et de la Forêt (pour les terrils étant enclavés dans la forêt domaniale). Les derniers sites ont été proposés aux partenaires privés en recherche de fonciers de compensation.

Certaines intercommunalités sont également convaincues de l’intérêt de renaturer les friches les plus complexes, celles grevées de contraintes environnementale et sanitaire telles (pollutions lourdes, espèce protégées, zones humides, inondabilité des terrains...) qu’il ne peut y avoir de projet « classique » viable.  La renaturation apparait alors comme la seule option techniquement et financièrement envisageable.  La requalification pour le compte de la Métropole européenne de Lille de l’usine « Produits Chimiques Ugine Kulmann » PCUK à Wattrelos-Leers est un très bel exemple de retour à la nature d’un complexe industriel de près de 40 hectares.

Quelles sont aujourd’hui vos priorités en matière de renaturation des sols ?

Notre nouveau Plan Pluriannuel d’Intervention PPI fait de l’amélioration du cadre de vie/nature en ville et du développement de la biodiversité l’un de nos 7 axes d’intervention. Tout cela participe de l’effort collectif pour atteindre la cible gouvernementale de la zéro artificialisation nette des sols.

La préservation des sols en place et des espaces végétalisés (arbres et bosquets) rentrent dans nos façons de faire lors des chantiers de déconstruction. Les sols et arbres conservés participeront au paysage de demain, à la lutte contre les inondations, les ilots de chaleur urbains et le changement climatique. Libre aux collectivités et aux aménageurs de s’en saisir et de concevoir des projets capables de les valoriser.

Nous devenons également « facilitateur » de compensation en utilisant et proposant nos fonciers renaturés ou à renaturer, dès lors que leurs caractéristiques répondent aux besoins de compensation de projets situés à proximité.

Enfin, nous réfléchissons à donner à notre stock foncier des usages transitoires (biodiversité, biomasse, land-art, potagers urbains…) pour que le temps du portage soit également un « temps de projet ».

Pensez-vous que les friches industrielles puissent être mobilisées pour de la compensation environnementale ?

Pour nous, ce n’est plus une éventualité, c’est une réalité mais le sujet n’est pas simple.

Les relations entre pollution et biodiversité sont complexes, mal appréhendées par les spécialistes de la pollution comme par les naturalistes. Il y a des friches qui sont particulièrement favorables au développement d’espèces pionnières (patrimoniales, protégées…) du fait de leurs caractéristiques intrinsèques (grosses contraintes édaphiques et microclimatiques), de l’absence d’usage et de pression sur les milieux (agriculture par exemple…). Il peut d’ailleurs arriver que ces friches ne soient pas mobilisables pour de la compensation, toute intervention étant potentiellement un facteur de dégradation de la biodiversité installée ! D’autres friches, en revanche, pourront constituer des terreaux très intéressants pour de la compensation, avec de forts gains nets de biodiversité et d’aménités sociales. Les inventaires naturalistes préalables sont une nécessité.

Le coût élevé des opérations de compensation sur des friches industrielles demande une ingénierie financière et de montage pointues. Difficile de demander au pétitionnaire de porter l’intégralité du coût de renaturation d’une friche industrielle quand il peut mobiliser facilement du foncier naturel et agricole à proximité. L’EPF a probablement une carte à jouer en prenant à sa charge tout ou partie des coûts proto-aménagement. Au pétitionnaire redevable d’une dette environnementale d’assurer les travaux de renaturation.

Propos recueillis par Sybille Thirion, directrice du CERF – Blog du foncier